TABLEAU 12 TABLEAU 13 Avant de faire les deux comptes rendus quantitatifs de publications dont nous venons de traiter, nous avons fait notre propre compte rendu qualitatif de publications. Nous avons rassemblé toutes les études publiées sur des expériences sexuelles de garçons avec des adultes, basées sur des échantillons non cliniques. La raison de cette recherche est double. D'abord les précédents compte rendus critiques avaient en général négligé les expériences sexuelles des garçons, se concentrant sur celles des filles, ou ils avaient estimé que les expériences des garçons et celles des filles étaient identiques. En second lieu, les compte rendus critiques précédents, lorsqu'ils se sont intéressés aux expériences sexuelles garçon-adulte, ont employé des échantillons cliniques. Ces failles montraient bien qu'il fallait désormais se consacrer aux expériences garçon-adulte, surtout dans la population non clinique. Rappelons encore une fois que pour arriver à comprendre réellement ce type de sexualité (ou tout autre type de comportement), on ne peut s'appuyer sur des échantillons cliniques à cause des innombrables problèmes que nous avons évoqués plus haut dans cette présentation. Nous avons repéré 35 études utilisables pour notre analyse. 16 étaient basées sur des échantillons étudiants et 6 sur des échantillons nationaux. Nous avons déjà utilisé ces études dans nos deux méta-analyses. Les 13 études restantes ont été obtenues de façons diverses. Certaines étaient basées sur des échantillons communautaires, d'autres sur les réponses à des petites annonces dans les journaux; d'autres encore sur des contacts personnels. Une dernière était basée sur des réponses obtenues par bulletin d'affichage informatique. Ces derniers échantillons constituent ce que nous appelons des "échantillons occasionnels" (le chercheur les obtient comme il peut, par tous les moyens disponibles). On ne peut pas considérer que ces échantillons soient représentatifs de la population en général, tout comme les échantillons cliniques. Cependant, ils nous donnent une occasion de plus d'étudier les expériences sexuelles garçon-adulte sans suivre la démarche habituelle qui consiste à étudier la population clinique. Nous avons déjà passé en revue de façon exhaustive les réactions et les implications psychologiques dans nos méta-analyses, grâce à nos échantillons nationaux et étudiants. Alors, avançons un peu et parlons des résultats provenant des échantillons occasionnels. L'étude basée sur le bulletin d'affichage informatique indiquait que 58% des hommes jugeaient leur expérience sexuelle garçon-adulte positif alors que 28% la trouvaient négative. Dans un échantillon occasionnel venant de Knoxville (Ohio) 36% des hommes jugeaient l'expérience positive, 24% neutre, et 40% négative. 66% considéraient que l'expérience n'avait eu aucun effet négatif sur leur vie sexuelle présente, alors que 34% estimaient le contraire. Une autre étude, comprenant des homosexuels mâles contactés dans une clinique spécialisée dans les MST, donne 58% d'expériences négatives. Dans cette étude, un pourcentage important (50%) a vécu un rapport contraint, ce qui peut expliquer ce chiffre particulièrement élevé. Parmi ces trois études, la première et la troisième ont respectivement des taux plus élevés et plus bas de réactions négatives, alors que la deuxième a un profil très semblable à celui des échantillons étudiants dont nous avons déjà parlé. D'autres échantillons ont montré des réactions essentiellement positives. Sandfort aux Pays-Bas a trouvé que, sur les 25 garçons qu'il a interrogés, 24 ont vécu de façon largement positive l'aspect sexuel de leur relation avec des hommes. Les critiques n'ont généralement pas admis cette étude pour diverses raisons : l'une étant que les garçons étaient recrutés pour cette étude par leur partenaire adulte, qui avait pu les influencer. Beaucoup de ces critiques pensaient que les réactions ne pouvaient être que négatives, on aurait donc fait pression sur les garçons pour qu'ils fassent un rapport positif. Notre compte rendu sur les études en milieu universitaire, de même que les données provenant des autres échantillons occasionnels dont nous avons parlé, montrent clairement qu'une importante minorité des garçons vivent ces contacts de façon positive, ce qui plaide en faveur des conclusions de Sandfort. Le nombre particulièrement élevé de réactions positives dans son étude tient sans doute au fait que les contacts sexuels s'accompagnaient d'un lien d'amitié. D'autres échantillons occasionnels portant sur des garçons qui vivaient une aventure sexuelle avec un adulte dans un contexte d'amitié réciproque ont généralement donné le même résultat. Une étude du même type a été fait en Angleterre par le Père Ingam, une autre aux USA par le psychologue Tindall. Les spécialistes de l'abus sexuel nous livrent souvent des anecdotes tirées de cas d'étude afin d'illustrer de manière éclatante "l’horreur de la sexualité enfant-adulte". Par exemple, dans le cas des garçons, dans un rapport de 1979 basé sur un échantillon étudiant, Finkelhor notait que 38% de ses garçons réagissaient négativement : ce qui veut dire que la majorité (62%) réagissait de façon positive ou neutre. A propos des expériences survenues entre 12 et 15 ans, Finkelhor ne s'occupait que des épisodes indésirables, ce qui a nécessairement augmenté artificiellement le chiffre des réactions négatives. Finkelhor ne nous a pas du tout renseigné sur les cas non négatifs, mais il nous a en revanche fournie plusieurs exemples d'expériences négatives. Dans l'une d'elles, l'interlocuteur demandait à un étudiant de comparer sa rencontre garçon-adulte avec d'autres expériences qu'il avait pu connaître dans sa vie. L'étudiant a répondu: "Beaucoup plus traumatisant sur le moment, très angoissant; je n'ai sans doute rien vécu d'aussi angoissant dans ma vie". L'interviewer lui demande ensuite si ça a été le plus grand traumatisme de sa vie. Réponse de l'étudiant : "Oh! Sans aucun doute. Surtout parce que j'ai passé deux mois à l'éviter. Je savais toujours où j'étais, avec qui j'étais et si le groupe était assez important pour qu'il ne puisse pas me remarquer, et, voyez-vous, c'était assez terrifiant". "Est-ce que je peux sortir ? Est-ce que c'est prudent ? Il n'y a rien de plus traumatisant". Cette anecdote illustre ce que la plupart des spécialistes de l'abus sexuel croient être la réaction typique d'un garçon face à l'abus. Mais les chiffres, même dans l'étude de Finkelhor, montrent que ce n'est pas la réaction typique. En fait il y a toute une palette de réactions possibles. Il est important de rapporter des anecdotes qui illustrent les autres types de réactions de façon à avoir une image complète des expériences garçon-adulte. Malheureusement, les spécialistes de l'abus sexuel ne nous fournissent pratiquement jamais d'anecdotes positives ou neutres. Il en résulte que le lecteur non averti ne voit jamais de réactions non négatives ; il ne garde en mémoire que l'exemple frappant et négatif, ce qui influence la façon dont il perçoit ce genre de relations. En psychologie, l'influence biaisant est un phénomène bien connu que l'on appelle effet d'éclat. Un souvenir éclatant crée à son tour un lien illusoire, ce qui veut dire, dans le cas présent, une impression exagérée que la sexualité garçon-adulte entraîne des dommages. Pour rétablir l'équilibre, nous allons maintenant rapporter une anecdote positive, qui provient d'une publication non clinique, afin de donner une image plus nuancée des réactions de garçons. Cet exemple vient de Tindall (1978), qui a rassemblé deux cents études de cas portant sur des relations garçon-homme à partir des entretiens qu'il a eus pendant toute sa carrière de psychologue. Tindall a suivi beaucoup de ces garçons jusqu'à leur entrée dans l'âge adulte, et au-delà.
Cette anecdote contraste fortement avec celle de Finkelhor. Elle montre une relation sexuelle consentie et durable sur fond d'amitié. Loin de craindre l'adulte, comme dans l'histoire de Finkelhor, le garçon a profité pleinement de sa relation. Il a pris modèle sur l'adulte et a réussi dans sa profession. L'histoire montre aussi que le garçon était délinquant avant de rencontrer cet homme. Cela cadre avec nos précédentes remarques; le milieu familial, quand il est facteur de délinquance, prédispose les jeunes à bien d'autres comportements hors-normes comme la sexualité avec un adulte. Ces histoires racontent des expériences réelles. Certains garçons ont peur, comme dans le premier cas, d'autres réagissent avec plaisir comme dans le second. On pourrait donner beaucoup d'autres exemples du second type, provenant d'autres échantillons occasionnels utilisés dans notre compte rendu. Le problème est que les spécialistes de l'abus sexuel, les médias et le public profane semblent ne vouloir accepter que le cas négatif. Peut-être croient-ils que les exemples positifs sont si rares que, soit-ils ne sont pas authentiques, soit, même s’ils paraissent vrais, ils ne peuvent être considérés comme pertinents. Mais nos données tirées d'un grand nombre d'échantillons démontrent que les cas positifs sont aussi fréquents que les cas négatifs, il faut donc tenir compte des deux, faute de quoi on déforme la réalité. Une fois admis qu'il existe des réactions positives et des réactions négatives, on peut se demander ce qui rend telle relation positive et telle autre négative. En 1981, Constantine a présenté un modèle utile pour expliquer ces réactions, positives ou négatives (tableau 13). Ce modèle propose deux éléments clés. Le premier est le sentiment de l'enfant ou de l'adolescent lui-même qu'il est d'accord pour avoir une relation sexuelle. Cet accord suppose la liberté de participer ou de dire non. Constantine a observé que les réactions étaient étroitement liées à la volonté de participation : des réactions positives étaient associées à des rencontres consenties, des réactions négatives suivaient des actes obtenus par la force, la contrainte ou la ruse. Le second élément étant ce que la jeune personne connaît sur la sexualité. Une complète ignorance peut induire de l'anxiété pendant ou après l'acte ; de même, le fait d'avoir intégré les "jugements moraux négatifs" sur le sexe (c'est mal, c'est sale) peut aussi conduire à un sentiment de honte, de culpabilité ou à d'autres réactions négatives. Les résultats de notre compte rendu sur le sexe garçon-adulte basé sur des publications non cliniques sont en accord avec ce modèle. Dans nos études, la force et la contrainte étaient invariablement associées à des réactions négatives, alors qu'une participation consentante ne l'était pas. Ceux qui ignoraient tout du sexe et éprouvaient à ce sujet un sentiment de honte avaient des réactions négatives; ceux qui étaient informés sur la sexualité et n'en éprouvaient pas de honte n'en avaient pas. TABLEAU 12
Degré de consentement d’enfants / adolescents vis-à-vis d’un
contact sexuel avec un adulte masculin
TABLEAU 13
Culpabilité / anxiété en fonction du consentement / des
connaissances sexuelles
Le problème du consentementConsentement signifie pour nous volonté de participer (par opposition au consentement éclairé). Il est important pour comprendre les différences de réactions que nous avons décrites, selon le sexe. Les spécialistes de l'abus sexuel insistent souvent sur ce point : il n'y a pas possibilité de consentement. Ils ne tiennent donc pas compte de cette variable. Mais leur insistance s'appuie sur des définitions socio-légales, ils utilisent la notion de consentement éclairé, qui est différente. C'est le consentement simple (la possibilité de dire oui ou non) qui nous permet de prédire les réactions de façon fiable : c'est donc cette variable que les chercheurs devraient prendre en compte. Avant que l'industrie de l'abus sexuel ne se développe, certains chercheurs s'intéressaient aux différentes gradations du consentement simple. Dans le tableau 12, nous rappelons le résultat d'une étude à grande échelle réalisée par l'Institut Kinsey au milieu des années 60. En se basant sur des documents judiciaires, les chercheurs ont classé le degré de consentement de garçons et de filles lors de leurs rencontres sexuelles avec des hommes de la façon suivante : attitude favorable, neutre ou hostile. Comme on le voit, il y a une différence sensible selon le sexe, pour les enfants de moins de 12 ans : une petite majorité de garçons (52%) était favorable à la relation alors que peu de filles l'étaient (12%). En outre, les filles étaient deux fois plus nombreuses à y être hostiles (80% contre 40%). Pour les mineurs (âgés de 12 à 15 ans), la majorité des garçons et des filles avait une attitude favorable (70%) mais là encore les filles étaient deux fois plus nombreuses à être hostiles (30% contre 16%). Ces chiffres, tirés d'un échantillon judiciaire, confirment que les garçons ont tendance à participer de leur plein gré plus volontiers que les filles. Leur attitude est généralement positive ou neutre, comme nous l'avons constaté à plusieurs reprises en examinant les publications non cliniques consacrées à ce sujet.
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